Cezar BALTAG



LE MIROIR

Je t’appelle. Si tu réponds je ne serai plus.
Si je te perds m’appelleras-tu à nouveau?
Abîme du seuil, ne tarde pas!
Je suis le noir crié par le soleil.
Si tu me nommes, je ne peux plus te nommer.
Appelé par toi, mon visage disparaît.

Si je te réponds, un siécle prendra fin.
Cachette-moi sans me donner de nom.
Tu es la nuit qui s’ouvre au jour.
Réponds-moi et il y aura un autre monde,
où de hauts soleils intensifieront
un certain Visage et un certain Vide.

Et au-delà du seuil je ne serai plus.


AIXO ERA Y NO ERA

Que reste-t-il de nous
après avoir regardé le firmament auprès d’une femme
et nous être réveillés ebloius par tant de silence tout autour
être... persister...
ici où l’ombre est éternelle. Rien de plus qu’une
respiration dans laquelle se joignent
temps et monde,
rien de plus que la lumière dans une femme aveugle,
rien de plus, seulement la soif
de persister dans l’être

aixo era y no era

Que reste-t-il de nous, après que le tourment
s’en va? Etre ou ne pas être:
le Vide des infinitifs se dissipe... Vivre, dormir
ou peut-être rêver... Il était une fois,
mais non pas maintenant. Les jours, les nuits
fondent leurs dunes de sables au large du désert
et il ne reste à l’ombre
qu’à
rentrer dans tes rêves

Que demeure-t-il de nous, après que
le midi se cabre? Voile d’or
et de bonheur, heure illusoire, vague fumante mais qui persiste
et pose sur mon coeur une pierre
bleue: des jours et des nuits et jours et nuits
qui battent des ailes au-dessus de ma propre perte
avec tous les rêves entiers,
mais sans une forme de silex
et sans un cri

aixo era y no era

Que reste-t-il de nous, ma bien-aimée,
après que l’amour s’en va?
Je me réjouis, me perds, je m’en vais loin
prononce l’oiseau dépourvu de nom...
Je ne suis pas du monde, chuchotes-tu. Ciel et terre
passeront. Mais non pas mon amour.
La reptation du serpent, répond l’écho
la Poussière de la terre

Entièrement réel, le commencement ilimité, le jeu
imaginaire:
un serpent de lumière s’ébroue
en se débarrassant de soi-même,
l’espoir hésite et s’élève de la poussière,
la tristesse d’un oeil géant ou bien
l’oiseau qui vient
du haut du ciel et atterrit
ici entre mes poumons
et la respiration du monde

aixo era y no era

Arrivée quand la lumière meurt, ton ombre, Seigneur,
ferait pleurer même les étoiles
et les pierres se mettraient à chanter
tout comme la terre labourée.
La foi commence à débattre
tel qu’un cerf-volant en papier
l’esprit descend prêt à voler jusqu’au tard;
surgit l’oiseau
qui vient du haut du ciel
ici, entre mes poumons
et la respiration du monde

aixo era y no era

Que reste-t-il de nous, après qu’explose
la parole en hématies,
dans la chair, dans les ténèbres du corps
corps destiné après cela aussi à marcher, à saigner
à parler,
à exister,
à faire l’amour
    l’Eté et l’automne passeront,
mais non pas mon amour.
„...et le pas du hanneton”. L’Amour, non.
Que reste-t-il de nous, après que, ravagés par l’amour,
comme mordus par les lions du désert, en regardant
à travers la vue d’un autre amour,
en respirant par la bouche d’un autre, respiré
par quelqu’un d’autre,
nous nous souvenons soudain de l’explosion
de l’étoile d’où
nous sommes descendus ici,
pareils à un insignifiant grain de sable
dans le lit de fleuve du monde,
grain lumineux et lourd
d’éternité

aixo era y no era

Que reste-t-il après que tu as pardonné
à tout ce qui était vivant, et à la vie, et à la mort, et voilà
qu’elles se ruent vers toi seulement maintenant
quand tu te perds
dans le vent chaud qui fait trembler la dernière feuille
de l’année passé
au sommet de l’arbre?

Que reste-t-il de toi, après que,
embrassé dans ton sommeil à travers la fenêtre ouverte
par le bruissement d’aile d’un ange qui passe
tu t’es souvenu des eaux qui coulaient,
qui n’ont pas cessé de couler
dans ce jardin du commencement,
depuis longtemps, depuis la genèse du monde?

aixo era y no era

Que reste-t-il de Toi, Seigneur, quand toutes
les choses du monde
se sont tues
et Tu T’allumes obscurément dans l’oeil bleu
du rossignol, et Tu n’es plus que la lumière seule
qui porte mon chant?

Que reste-t-il de la raison d’être
dès lors que les ténèbres au-delà d’elle
ne sont plus que lumière?


ESPRIT ET SANG

L’été prend feu jusqu’à la souffrance
il se fait oiseau qui monte au ciel
et se fige soudain en brûlant
au-dessus du nid

Lève-toi, Terre, avec moi
pour pouvoir voler

Soudain le silence tombe.
Une pierre chute du firmament
mais avant de toucher terre
redevient oiseau
qui saigne au-dessus du berceau du monde

L’instinct de la lumière est dans ses os

stase du chant

hémorragie du soleil
au-dessus du nid
Poeme traduse de Ilie CONSTANTIN


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