Ion BARBU

                               Le roi Crypto et la lapone Enigel

(balade)

Ménéstrel triste, plus embué

Comme vieux vin trinqué aux noces,
Par le beau père bien équipé
En soie, rubans et fils diverses,

Plus opiniâtre ménestrel,
Une chanson large t’efforce encore,
Dis-moi de lapone Enigel
Et Crypto, roi des champignons!

– Toi, homme de choix!
Ta fête ma langue a-t-elle brulé,
Mais la chanson avec ce roi
Et Enigel, je te l’dirais.

– Mon ménéstrel, dit!
Tu me l’as dit l’été passée, très ardement;
Tout doucement, éteint, dis-moi aujourd’hui,
A fin des noces, dans la ressere des aliments.

                                               *

Souvent fouillé dans les bocages

En lit de l’eau et sol glaiseux,
Régnait sur champignons sauvages
Crypto, le roi mystérieux,

Au tron, sans fin, comme de rosée!
Mais quelques champignons sans cesse
Médisent d’une sorcière-bolet,
De la fontaine de la jeunesse.

Coquillages mauvais et violettes
Sortaient de grottes pour l’insulter,
Le font stérile, rétif, sant tête,
Pour qu’il voulait pas prospérer.

On dit que dans des lieux glacés,
En même époque vivait comme lui
Petite lapone, Enigel nommée,
Tranquille, pleine de peaux, bannie.
De l’hivernage au pâturage,
Conduire ses rennes, chaque année,
Vers le Midi, dans l’air trempé,
Sur mousse crue elle s’arrêta
Chez Crypto, roi de cet endroit.

Sur trois tapis pleins de fraîcheur
Calme s’endorma, tordant de l’herbe;
Quand, près du sein, un roi imberbe,
Avec son eunuque vieux,
Venait à l’inviter chez eux:

– Enigel, Enigel,
Je t’apporte d’la confiture,
Voilà des fraises, qui te plaisent,
Prends, les mets dans l’encoignure.

– Roi imberbe, près du sein,
Je Te remercie assez.
Mais je vais aller cueillir
Fraises fraiches, dans la vallée.

– Enigel, Enigel,
La nuit baisse, sortent des éclats,
Si tu veux aller cueillir,
En commence avec moi.

– Je te cueillirais, roi doux…
Mais l’aube commence à surgir
Tu es moite et très léger:
Moi, j’ai peur que tu te casses,
T’en fais pas. Attends te cuire.

– Me cuire, oh, Enigel,
J’en veux bien, mais du soleil
Cents rêves de carnage, tu vois,
M’ont séparé. Il est grand, il est vermeil,
Et toutes sortes de tâches il a;
Laisse-le, oublie-le, Enigel,
En grand fraîcheur et frêle sommeil.

– Oh, roi Crypto, oh, roi Crypto,
Ces mots tu as mis en cœur
Comme une lame d’anathème!
Moi de l’ombre, j’ai grand peur,
Si je suis faite en plein hiver
Et l’ours blanc est mon cousin,
De l’ombre dense, désagregée,
Au sage soleil je me prosterne.

Aux lampes de glace, sous les neiges,
Un seul rêve songe mon pôle entier.
D’un lourd plateau, aux bords verdâtres
En or, son rêve est recherché.

Au sage soleil je me prosterne,
Car en poitrine l’âme est fontaine,
La blanche roue est donc ma reine
Qui se répose dans l’âme-fontaine.

Au grand soleil, la roue grandit;
A l’ombre, la chair s’amplifie,
Sommeil la chair est, se dégonfle,
Le vent et l’ombr’encore la gonfle…

Bien elle parla et encore grêle
La droite lapone, Enigel,
Le temps, on voit, ne se bloqua,
Et le soleis, lui, s’arrêta,
Lancé en haut, comme un anneau.

– Tu pleurs, plus sage Enigel!
Mais Crypto, roi des champignons
La leste lumière comment aimer ?
Il se détache lentement d’elle,
De Enigel,
A l’ombre molle voulant passer.

Mais le soleil, anneau flambé,
Profond en lui se réfléta;
Dix fois, sans être timoré,
En peau imberbe qui l’absorba.

Même le jus doux assez se gâte!
Son cœur caché quand-même éclate,
Vers dix vives scellés d’emblème,
Venin et huile rouge
Suintent du fond des anathèmes.

C’est difficile tant de soleil bien endurer
Un champignon cru de forêt,
Car l’âme n’est pas encore fontaine
Que pour les hommes, bêtes anciennes,
Pour créature plus déliée
Verre de poison est la pensée,

Comme chez roi Crypto, l’enragé,
Son cœur de feu était brûlé,
Il est allé vagabonder
En autre allure, plus élevé:

De Laouroul-Cerbère près,
Il  jète de l’or au monde entier,
Pour le hacher, nu s’angageant sortir en route,
La Belladone – mariée,
Lui sera l’épouse aimée.
                                               (Din volumul După melci / Après les escargots,  1921)

                              

Jeu second

(1930)
…ne fût-ce que pour en donner l’idée .
Stéphane Mallarmé

De l’heure déduit, le fond de cette calme crête,
Entrée par le miroir dans délivré azur,
Coupant sur le noyade des troupeaux agrestes,
Dans l’assemblage des eaux, un jeu second plus pur.

Nadir latent! Le Poète enlève l’entassement
De harpes dissipées qu’en vol invers l’on perde
Le chant s’épuise encore: caché, comme la mer justement
Méduses quand elle promène sous ses clochettes vertes.

                                                               En français: Claudia PINTESCU

 

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