Eta BOIERIU

Mon profondeur, prends-moi par la main

Ainsi ma nuit parlant à votre nuit
disait: – Mon profondeur, prends-moi la main
pour que dans grosses et douces vagues on se noie
en noires écumes vaine auprès vaine
maintenant, quand on n’a pas reveillé les chauve-souris
en tendre sifflement les tentant toute entière
pour qu’elles provoquent aveugles, étourdies,
mes froids frissons ou qu’elles agite dans ma poitrine son aile,

disait-elle, mon profondeur, qu’on meurt tout près
dans l’eau immense sans lumière
qu’ensemble dans son ombre tu me plie
mettant de la sourdine aux mots
maintenant, quand on n’a pas séduit les lévriers
pour qu’ils en bande me pourchassent, me rejoinent
avec leurs gueules froides comme les coups de pluie,

maintenant, quand y a encore beaucoup de temps.

Le lait de soir

Comme les gris agneaux, quand après un jour tout entier
on s’est heurté contre les prochains, les contraintes,
tendrement on se réunit autour du lait de soir
doux et blanc comme le duvet d’anges,
pour qu’on meure tour à tour, depuis toujours
toi le premier, moi la deuxième (et serre
mon cou la durée de notre séparation),
pour qu’on meure sans couler du sang,
ombragés par les essaims tremblant d’ombres
par où je cours pour te rejoindre
et à peine arrivée (quel étroit anneau de silences
coupe ma chair ces derniers moments !),
à peine arrivée qu’on se réveille de la mort
qu’un jour encore nous désunit,
et que, les dents serrés, nous buvions sa lumière
oubliant les pleins pis de la nuit.

Temps sans dents

Comme je t’ai fais sortir au monde, enfant de temps cruel,
vidé de rire et d’embarras,
en te portant au sein, parmi les feuilles
comme tu mordais, une fauve, ce temps-là,
comme je te nourrissais avec du lait d’éclat
pour que j’épointe tes crénelages expressément,
comme je ne prévoyais tes dents plus douces qu’une lèvre
quand tu vidais mon sein de sang,
comme je te protégeais gardant de nuit ton inercie,
(dans le sommeil deux fois que moi tu grandissais),
aussi de jour en froid effroid le jeu
sans cesse plus cruel avec les fauves-bébés,
comme moi, la folle, je te chantais quand tu t’envenimais,
comme je t’apprivoisais quand, comme la rivière, tu écumais
o, mon poulain tout agité, o grain,
pour qu’il ta bouche rompe, comme je serrais ton frein,

que ce jour-là tu pousses jumeau, apprivoisé
avec le temps qui nous étouffe dans les menottes
et au lieu de mordre, comme une herbe épais
on nous rumine en jabot, nous paît.

La graine de la joie de bien parler

Que je n’aie pas été pour que je sème dans moi-même
qu’il soit le vent, qu’elle fût une main comme la mienne
ou un prochain parmi les êtres de naguère,
ne me chagrine. Moi, j’ai été la terre
et j’ai mûri – je me rappelle comme les brûlantes pierres
brûlaient dans l’âme en grand pile
se dépêchant de s’accomplir dans les paroles,
comme sur elles-même se repliaient à peine surprises,
comme se cassaient et bien glissait le gravier
doré parmi mes doigts, sans fermeté
pour s’exprimer, ou comme leur taille contusionnait
leur crête aussi, et néanmois comme fermement
un goût de fleurs, une sève de lumière
suintait à leur racine comme la veine
d’eau quand expièglant en sourdine
abreuve l’herbe au coin – moi, j’ai été la poussière,
la terre j’ai été ensemencée qui bien ligote
dans son abîme le fruit, de gel, de givre protégé
et j’ai mûré au sein dans ma langue de crèche
la graine de la joie de bien parler.
Traduction: Coca SOROCEANU



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