POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRĂINE

 

Mihai EMINESCU
               
Poète

Rimailler à perdre haleine
Des dactyles enfiévrés
Et coucher sur tas de feuilles
Des idées mal digérées ;

Et quand tu vois une femme
Humblement la saluer
Et si, par hasard, te parle
L’écouter sans sourciller.

Sale et mal rasé, allure
Loqueteuse et désuète,
Tout ceci est bien la preuve
Que tu es vraiment poète.

 

De Berlin jusqu’à Potsdam

De Berlin jusqu’à Potsdam
C’est connu : le train vous mène ;
Mais nul ne sait que j’ai pris
Un billet de troisième,

Que je suis parti à l’aube
Dans ma poche avec dix sous
Et avec Milly la blonde
Suspendue toute à mon cou.

Brahmâ dit, le vieux Brahmâ,
Que le monde est un autel
Où le feu des sacrifices
Ard dans un vase éternel.

J’ai donc allumé ma pipe
Et je fais un sacrifice
A Brahmâ, avec un Kùmmel
Et deux paires de saucisses.

Darwin dit, le vieux Darwin,
Notre ancêtre est un primate –
En effet, je suis un singe,
Mais Milly n’est qu’une chatte.

Et, pressé, je prends le train
Affamé comme un castor,
Mon chibouque entre les dents,
Sous le bras un Schopenhauer.

Le train siffle, mon chibouque
Fume en embaumant les lieux ;
Le kil de Kùmmel m’invite,
Milly rit. – Je suis heureux !

(1875)
Traduction du roumain par Nicolas BLITHIKIOTIS

 

Somnolents petits oiseaux

Somnolents petits oiseaux
Se rassemblent près des nids,
Et se couchent dans les rameaux –
Bonne nuit !

Seules les sources soupirent,
Quand le bois noirci se tait;
Dorment les fleurs dans le jardin –
Dors en paix !

Le cigne glisse sur les eaux
Se coucher dans les roseaux –
Que les anges te surveillent,
Doux sommeil !

La fière lune en haut se lève
Dans la nuit, sur sa féerie,
Tout n’est qu’armonie et rêve –
Bonne nuit !
                                               (décembre 1883)
Traduction: Claudia PINTESCU

 

Je n’ai qu’un seul désir

Je n’ai qu’un seul désir :
Dans le silence du soir
Laissez-moi bien mourir
Au bord de la Mer Noir ;

Que mon sommeil soit calme
Et la forêt tout près
Sur l’étendue des ondes
Que j’ai un doux ciel gai.

J’ai pas besoin d’drapeaux,
Ni de cercueil trop riche,
Mais en vierges rameaux
Tressez-moi de bonne couche.

Que personne derrière moi
Ne pleure à mon chevet,
Que l’automne donne sa voix
Au feuillage seché.

Quand en vacarme s’affaissent
Les sources sans arrêt,
Que la lune traverse
De longues cimes de sapins.

Que la cloche s’insinue
Dans le frai vent à l’heure,
Que saint tilleul dessus
Agite ses branches en fleur.

Comme des lors je n’errerai
De plus à l’avenir,
M’enneigeront volontiers
De bons souvenirs.

Etoiles qui paraîtront
De l’ombre de sapins,
Étant mes copains,
Encore me souriront.

Gémira de passions
Le chant de la mer…
Mais moi je serai terre
Dans mon abandon.
                              
(décembre, 1883)

       Version française : Coca SOROCEANU


 

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