POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRAINE

   

Ioan FLORA

 

 

LE RÊVE

 

Ô, pauvre de moi, qu'est-ce que j'ai pu rêver cette nuit ! dit

on ne peut plus troublé, Monsieur l'Autruchameau,

confirmant, de la bague portée au doigt appuyée sur la cire fondue,

la requête pour : une peau de martre, cinq paires de pantoufles,

deux plateaux et une petite verseuse en argent,

en s'essuyant les yeux et en tirant paresseusement et pourtant agité,

sur son traditionnel houka.

On a du mal à y croire, mon cher Macaire, et d'autant moins à en rêver !

Il y avait un air dense et poisseux, comme une sorte de levain

transparent, dans lequel flottaient des aigles et des corbeaux

et des lézards et je sentais comment Quelqu'un

entaillait au rasoir mon talon, je le sentais seulement,

sans voir Qui, et sans ressentir cette chaleur accablante du sang chassé de son lit

je m'entendais parler comme dans le noir, comme à travers un mur,

et je me retrouvai en train de dire, toute honte bue…

Mais je n'ose même pas te dire quoi. Non ! Non !

Et puis, il semblait que j'eusse retiré mon foie

sur un plateau dans le jardin, que je regardais, tu m'entends ! comme un objet étranger.

J'assouplis entre mes doigts de noires cerises détachées.

Je les compare au cuir des gants portés par des demoiselles

D'un monde révolu.

Ton dedans est vide.

Oui, je le suis tout à fait , répondis-je,

Je perçois le tremblement des chimères

qui prennent d'assaut mon cœur

ainsi que ces noirs sarments, à la fois.

Les barbecues de mouton, ici, dans la prairie, me rappellent les bivouacs ottomans sur le Danube, avec des pachas et des sultans.

La capiteuse fumée atteint, au loin, la crête des montagnes.

Le lézard verdâtre se glisse doucement par la haie du jardin.

Il n'y a pas le moindre fils de dieu ici-bas.

Seulement des masques et des tromperies et des passions passagères de la chair !

Vautré à fond dans son fauteuil du salon, Monsieur l'Autruchameau

avait concocté une liste de petites habitudes à observer :

rire, hoqueter, se taper sur le ventre chaque après-midi, trois ou quatre fois, au moins ;

accuser, avec ou sans arguments, pester contre les nains, c'est-à-dire :

faire, si besoin est, le bouffon, le pitre, voire la victime besogneuse et sentimentale ;

diriger un pays comme on noue ses lacets en marchant.

«  L'Autruchameau, c'est-à-dire la tarasque, est, selon Neagoe Basarab,

un grand oiseau, beaucoup plus adroit que tous les autres oiseaux.

Partant, s'il pond des œufs et que ses petits doivent éclore,

il ne s'allonge pas, comme d'autres oiseaux, afin de couver ses œufs

et les réchauffer de son propre corps,

mais il les plonge dans l'eau et les couve des yeux et de ses pensées

et les regarde sans désemparer, à longueur de journée et de nuit,

jusqu'à ce que les œufs éclosent et les petits en sortent,

et si jamais il perd de vue et d'esprit ses œufs et qu'il regarde ne fût-ce qu'une fois

ailleurs, ce sera une toute autre bête , l'une qui ressemble à un serpent,

et qui a pour nom vipère.

Ainsi donc, dès qu'elle voit l'Autruchameau en train de garder ses œufs,

elle s'amène et s'approche et reste là à attendre

le moment où l'Autruchameau détourne son regard afin de le porter ailleurs

et alors, elle va souffler dessus et, à cause de son souffle,

les œufs vont pourrir et se gâter.

Et jusqu'à ce que ses petits d'oiseau n'éclosent, il ne s'en va point, ce serpent-là  ».

Plongé jusqu'au cou dans son fauteuil de cuir couleur cerise,

Monsieur l'Autruchameau décida d'ignorer les contes sur des mystiques et des corsaires, qui lui parvenaient toujours plus fréquemment, il constata

que même les équipages l'ennuyaient affreusement, même les faucons et lévriers

(si adorés par le passé) et qu'il ferait mieux de tenter

d'apprivoiser un héron, une loutre ou un coq de bruyères,

cultiver son jardin, en mettant, pendant l'été,

sa table à l'ombre d'un tilleul vigoureux, aux côtés d'amis de longue date

et dévoués, en goûtant à des vins fins et limpides

pareils à l'œil de la perle qui scintille au soleil du matin…

 

Le mal ou le service que peuvent lui rendre les forces sociales

organisées, se réduit, en dernière analyse, à une simple fabulation sur le thème

du suicide, de la carrière, de la prospérité nationale et biologique.

Sous tel angle, les traces marquées dans les dunes de sable

par Monsieur l'Autruchameau, ne prouvent pas qu'il est véritablement passé par là

et d'autant moins qu'il existe pour de bon…

Et pourtant, qui d'autre que Monsieur l'Autruchameau personnellement

a pu inventer des propositions du type : donnez-moi un canon, un char,

une mitrailleuse pour fouler aux pieds et dévoiler l'image de mes propres sujets

pour les obliger à manger du sable, comme un ver ou une chenille,

pour les pousser à se révolter contre leur propre statut social

pour leur faire accepter tout ce cirque, car si cirque il y a – que ce soit du cirque !

et qu'ils l'idolâtrent comme un état normal des choses.

Qui d'autre que Monsieur l'Autruchameau aurait pu inventer

le soir, autour d'une tasse de thé brûlant,

bu tranquillement et dans la demi obscurité, cette vérité simple, mais insidieuse :

c'est une terrible question idéologique, la faim, la terreur !

Qui donc ? Je vous le demande : qui ?

 

C'était comme un souffle de vent d'il y a deux décennies, en train d'arracher

les maisons, les rivières et les montagnes à leurs racines.

Son regard humide, son regard de résine fondue et aiguisée aux deux bouts

s'agitait comme un papillon de quartz dans l'air.

C'était un souffle de vent. Une pluie d'été. Presque un incendie.

 

J'ai rêvé, maintenant je peux te le dire, qu'il me poussait une sorte

de poil sur la langue, si j'ose mentionner ce poil sur la langue,

les critiques pullulaient déjà dans un ciel bleu, si je peux rappeler le ciel bleu.

J'ai rêvé que moi, j'étais notre Seigneur Dieu lui-même

à la barbe blanche et au bâton en argent, je me tenais immobile quelque part,

dans un fauteuil sur une montagne d'air, je mordais dans une pomme

mi-rouge, mi-dorée et juste à ce moment-là

Quelqu'un me saisit par l'épaule, en me parlant rudement :

Dis donc, toi, pourquoi rêves-tu devant l'ascenseur  ?

 

 

DISCOURS SUR L'AUTRUCHAMEAU

 

Il n'est pas un aigle, ni un castor, ni le chien des mers,

il n'est pas un héron, ni un vautour, ni une pie,

ni une licorne,

ni une belette, ni une biche d'Arabie ;

il n'est pas une outarde, ni un chameau à deux jambes,

ni une autruche avec des ailes et des plumes,

ni un pigeon, ni un spalax ;

il avance péniblement dans les montagnes mouvantes,

dans des plaines instables pareilles à des plans et n'étant qu'une idée

d'oiseau chamelé et de chameau oiselé en même temps,

le vent du désert ne saurait le soulever de terre, pas même d'une coudée.

Il est un oiseau d'eau et un poisson d'air à la fois,

se prenant dans les filets – comme le maquereau commun.

 

On peut lui attribuer une tête en papier et une cervelle en cuivre

et des cornes, afin qu'on la prenne plus facilement dans les rets.

Ignare, il l'est plutôt lorsqu'il s'agit des catégories logiques,

il est composé de plumes et de sabots et surtout d'ailes malingres, et ne figure

dans aucun bestiaire, depuis les Egyptiens.

Il rit sans rire pour autant, mais, quant à voler, pour sûr qu'il ne vole pas,

aussi serait-il impropre de l'appeler ptinon, hof ou tair .

Et pourtant :

«  Toute bête à deux pattes, à plumes et pondant des œufs, est oiseau.

L'Autruchameau a deux pieds, des plumes et pondant des œufs.

Aussi l'Autruchameau est-il une sorte d'oiseau.

Un oiseau est l'Autruchameau,

c'est un oiseau, c'est un oiseau que cette bête, l'Autruchameau,

L'Autruchameau est un oiseau.

 

 

Cet oiseau et ce monstre sont un Autruchameau.

 

L'oiseau pond, les œufs sont à l'oiseau.

L'autruche pond, elle a des œufs.

C'est donc un oiseau, c'est l'Autruche.

 

l'oiseau a des plumes,

l'Autruche a des plumes

par conséquent, l'Autruche est un oiseau ».

 

Il n'est guère et nullement belette, ni héron,

ni outarde, ni autruche, ni chameau,

il est seulement une idée d'oiseau chamelé

une idée de chameau oiselé,

de roseau au bord de la mer avec une centaine de pointes,

qui occulte le soleil et la partie fertile du corps.

 

 

Traduits du roumain par Constantin FROSIN

 

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