POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRAINE
 

Alexandru MACEDONSKI

 

Nuit de décembre

 

Déserte et blanche, la chambre est pareille à un mort…

Le feu dans l'ître s'éteint, réduit en cendres… -

Le poète reste tout près, foudroyé par le sort,

Et nulle flamme à ses yeux ne vient se suspendre…

Et son grand génie, au mythe paraît atteindre…

 

Aucune lueur à ses yeux ne veut se rendre.

 

Déserte et blanche est la vaste étendue du champ…

Sous la tourmente, il geint à faire pitié…

En bête sauvage, la tristesse le mord à belles dents,

Et la lune le regarde d'un œil d'acier… -

Un blanc monolithe, flou, dans l'obscurité…

 

Et la lune le regarde d'un œil d'acier.

 

Autour s'entassent des ombres, par masses, et l'importunent…

Depuis longtemps, l'être d'argile a péri,

Mais son front, toujours altier, reste dans la lune –

Même la blanche pièce est morte dans la nuit…

 

Depuis longtemps, l'être d'argile a péri.

 

Bien morte la pièce, bien mort le Poète… -

Au loin, d'horribles loups s'entendent, éraillés,

Qui aboient, qui hurlent, qui montent à l'aveuglette

Un sinistre trémolo de vent étouffé…

La tempête crie… - elle, quel sera son péché ?

 

Vers le chaos, la tourmente monte à l'aveuglette.

 

Elle est tout aussi grande en lui et sur terre,

Froide, la lune en lui et dans le ciel…

Les ténèbres lui allongent terribles coups de serre.

Son front, les ombres le réclament, démentielles…

 

Froide, la lune en lui et dans le ciel.

 

Tout à coup, le feu couvant sous les cendres pétille…

Sur les murs, des visions bleuîtres s'emportent…

Dans la cheminée, une vive flamme éclate et brille,

S'élance, palpite, crépite et, cependant, babille.

 

Dis donc, Archange d'or, qu'est-ce que tu nous apportes ?

 

Et la flamme prend sur elle pour dire : «  Je vous inspire…

Ecoute et chante toi-même et tîche jeune encore d'être…

Dans la gloire du retour, étouffe tes soupirs…

En fort et riche émir, tu dois apparaître  ».

Et la flamme prend sur elle pour dire : je vous inspire

Et, dans la blanche pièce, tout se met à frémir.

 

La tristesse émanée des congères disparaît…

Tout est en or : l'horizon jusqu'à l'orée, -

C'est lui, l'émir d'une ville extraordinaire…

Ses palais sont de blancs fantasmes, en entier,

Cachés par feuilles, fruits surgis des contes de fée,

Se mirant dans l'éclat d'une claire rivière.

 

C'est Bagdad ! C'est Bagdad ! Et lui, c'est l'émir !

Dans l'air, des pétales de roses se divertissent…

La soie à fleurs et le fil se mettent à bîtir

Des nuances qui, dans l'ombre, lentement se flétrissent… -

Les bassins d'eau chantent… des voix limpides bruissent…

C'est Bagdad ! C'est Bagdad ! Et lui, c'est l'émir.

 

Et c'est lui l'émir, il compte dans son trésor

D'interminables tas d'argent et des amas d'or,

Et pierreries à l'éclat des étoiles ;

Partout de kandjars, des aciers affreux –

Aux étables, chevaux dont les sabots jettent du feu

Et, tout autour, des fleurs ou écume des pétales.

 

C'est bien Bagdad, ciel jaune et rose qui palpite,

Paradis de rêves ailés et d'amaryllis,

Argent coulé en sources et horizon en pépites –

C'est donc Bagdad, l'oasis des roses et des lys –

Mosquées - minarets et le ciel qui palpite.

 

Et c'est lui l'émir, et il a toutes les sèves :

Jeune, il a un charme du tonnerre, c'est un dieu,

Mais chaque jour il sent qu'on lui vole un rêve…

La Mecque – ses désirs convergent vers ce lieu,

Et devant ce désir, rien ne fait long feu

Et c'est lui l'émir, un être charmant, de rêve.

 

Vers la Mecque le poussent sa foi et sa volonté,

La très sainte cité le veut, l'appelle à elle,

Elle veut ses sens et sa raison d'exister,

Sa beauté et son côté spirituel –

Elle veut de lui de la tête aux pieds.

 

Mais la Mecque est loin, sous l'horizon enflammé –

Un immense désert déjà l'en séparait,

Et combien les victimes de cette croisade ?

Le désert – une mer embrasée par le soleil

Ni chant d'oiseau, ni arbres, ni sources – tout a sommeil –

Et l'on se la coule douce dans la rose Bagdad.

 

Et l'on se la coule douce dans les salles d'albître,

Sous l'éclat des voûtes en argent et en azur,

Trônant dans la lumière pareille à un astre,

Avec de blanches formes de sylphes sis tout autour

Et aux yeux les reflets du lotus bleuître.

 

Le jour est venu où ses esclaves, il munit…-

Il appareille ses chameaux, ses noirs étalons,

Le convoie se met en marche – à l'aube resplendit,

S'ébranle avec bruit – la foule le suit,

Qui se rue vers les portes, mue par un frisson.

En tête, à cheval sur un blanc chameau docile,

Il pétille, comme braise sous un ciel rouge orange,

S'arrête un instant au vert sommet et s'arrange

Pour regarder encore sa ville, sa rose idylle…

 

Il s'arrête, pendant un instant, sur ce vert pic…

De ses grands yeux, une larme surgit et s'enfuit,

Alors que, sur les collines, le solaire disque

Vers sa gloire auréolée lentement gravit…

Et cette larme, claire, brille d'abord et s'enfuit…

 

De l'eau de sa fontaine tellement préférée

A boire, une dernière fois, il demandait…

Les dattiers l'enveloppent d'une légère fumée…

Cette eau, c'est la même vers laquelle il venait

Tout enfant : sa blondeur, il aimait l'y mirer –

Et la fontaine est la même qu'il connaissait.

 

Elle est comme par le passé, mais d'un teint très pîle,

Sous sa magique ombre, un pauvre hère s'étale…

Un estropié en guenilles, moche et hideux

Misérable charogne ulcéré - poussiéreux,

Le regard perfide et le teint plus que pîle.

 

Soudainement, l'émir lui demande son nom

Et, d'une drôle de voix, celui-ci lui répond :

- Pour la ville de Mecque suis-je parti moi aussi .

- Pour la Mecque ? Pour la Mecque  ?... – et la voix, du même ton :

- Pour la Mecque ! Pour la Mecque  ! la voix n'a plus fini.

 

Et s'en va le passant sur un chemin tortueux

Estropié et blême, il tire sa jambe, boiteux…

Mais le petit sentier serpente sous les arbres

Et une frêle ombre du soleil le protège, glabre,

Ses oreilles se remplissent d'un joyeux brouillage

Et le chemin tourne et tourne davantage.

 

Pour sa part, l'émir fait de même : s'en va aussi –

Le désert l'attend jusqu'à ce qu'il l'ait franchi…

Dans sa poussière, chameaux, chevaux sont partis,

Bagdad disparaît à l'horizon et se perd,

Plus fou que le rose de toutes les fleurs éphémères.

Plus vague que le rêve du perdu paradis.

 

Le désert l'attend jusqu'à ce qu'il l'ait franchi…

Et lui avance et la voie point ne dévie –

Va de l'avant – mais les jours ne font que couler

Et c'est la fournaise à l'aube et au coucher –

Il avance, mais les jours ne font que couler.

 

Il n'y a pas la moindre trace de source, d'arbres ou d'herbes…

Et lui, il avance sous les solaires gerbes…

Un spectre de sang diffuse dans ses yeux – et, de son cou,

Excédé par une intarissable soif, acerbe…

Du sable et, au-dessus, un ciel rouge, sans plus –

Et tous avancent sous le feu des solaires gerbes.

 

Mais le désert, impassible, encore s'agrandit

Et la très sainte ville encore point n'apparaît –

L'aube l'incendie, il s'avère toujours infini,

Pas un souffle de vent ne veut le remonter –

Il vibre, scintille, de plus en plus s'agrandit.

 

A peine s'ils trouvent par ci, par là, très rarement,

L'oasis verdoyante dont ils rêvaient tellement…

Les chevaux partent à ce moment comme un trait,

Tête baissée, les chameaux accourent eux aussi,

Ils se font plus lestes, à entendre le clapotis.

Sources ou citernes, sur le champ ils vont les vider –

Mais les affres reprennent, les jours ne font que couler.

 

Elle ne se montre toujours pas, la chimère sublime…

Et l'eau, dans les outres, diminue doucement…

Tantôt les chevaux, tantôt les hommes tombent victimes,

Et l'on marche dessus, toujours plus difficilement…

Par trois, par quatre, ils meurent tous avant leur heure

Chers jeunes, beaux chevaux, fiers chameaux, par manque d'heur.

 

Et la cité des rêves ne se montre toujours pas…

Dans les besaces, les vivres chaque jour s'amenuisent…

Des oiseaux de proie, saccageurs, se produisent…

Sur les carcasses, ils se jettent les happant à plat.

Hommes, chevaux, chameaux tombent, périssent, se réduisent…

Seuls, les noirs oiseaux rivalisent, se mobilisent.

Et la cité des rêves ne se montre toujours pas.

 

La cité des rêves est encore à grande distance

Et le jour arrive, terrible, où lui, vidé,

Seul dans l'équipée, sous un ciel d'acier,

Se sent l'esprit voilé par une nuit d'absence…

Tantôt la soif, tantôt la faim, aussi poussées,

Entrent en lice pour multiplier ses souffrances

Dans l'air enflammé, sous un ciel d'acier.

 

Comme des rats, tous sont faits : esclaves, chevaux, chameaux…

Sous l'air en flammes, ils s'entassent en de rouges monceaux…

Avant, derrière – tout autour- en tous lieux,

Horriblement palpite, unique, la même couleur…

La terre elle-même brûle, bourrée de tant d'ardeur.

Les yeux ont beau chercher – autant que faire se peut –

Tout est taché de sang en flaques, sous les cieux

Sous l'air en flammes de ces jours vraiment abyssaux.

(Sous l'air incendié par ce vrai échafaud)

 

Et la faim croît toujours, elle devient famine,

D'un jour à l'autre, le ciel s'allume, s'illumine…

Les tempes tressaillent… les yeux sont des démons affreux…

La soif les fait trembler, et le sens de la faim

Est un serpent qui s'insinue, en assassin,

Dans les ventres, dans le sang, dans les nerfs furieux…

Les tempes tressaillent… les yeux sont des démons affreux.

 

A peine s'il marche encore, le chameau, qui le porte…

L'espérance elle-même, dans son îme, est bien morte…

Mais voilà… est-ce une impression, ou c'est elle ?...

Elle brille… L'émir ressemble ses forces éparpillées… -

Il peut même voir les blanches portes de la citadelle…

C'est la Mecque ! C'est la Mecque ! et s'élance vers elle.

 

Vers les blanches murailles il se met à courir,

Quant à elles, les blanches murailles brillent, moult scintillent… -

Mais la Mecque se ravise et se met à fuir

D'un pas qui l'exile au loin, où elle vacille,

Quant à elles, les blanches murailles brillent, moult scintillent.

 

Il court à fond de train vers sa blanche chimère,

Vers les pommes d'or de son rêve tellement céleste…

Rapide, le chameau le porte vers son seul repère…

Mais le rêve qu'il fait est inhumain, funeste –

Et les pommes d'or brillent – scintillent, toujours à l'est.

La blanche cité s'obstine à rester une chimère.

 

Elle demeure une chimère, pourtant il la repère

Avec ses portes en topaze, ses tours en argent,

Et pour y arriver, sa démarche accélère,

Il sait très bien – quand même – que tout lui ment :

Les portes en topaze comme les tours en argent.

 

Elle demeure une chimère à l'orée du désert,

La reine des mirages, une reine des plus altières,

Mirobolante, sa Mecque – le seul rêve qu'il fait.

Et il voit un monstre y accéder, sous les portes…

Alors que vacille le chameau qui le porte…

Et dans la Mecque pénètre le passant estropié

Qui, pîle, tire sa jambe sur une route dérivée –

Alors que vacille le chameau qui le porte…

 

L'émir se meurt sous le brasier du désert –

Et le feu dans la pièce s'éteint aussi,

Et les loups hurlent de plus belle au bout de la terre…

Alors que le froid se fait mordant, se durcit…

Mais cette lune glaciale et cette hostilité

Des loups qui hurlent – aux aguets – et cette pauvreté

Qui dévale, jour après jour, tous les échelons,

Sont toutes ces déserts surgis dans le droit chemin,

Cette déréliction, cette désolation

Forment la grande et céleste Mecque et ses mortes-saisons…

 

Mourut l'émir sous le brasier du désert.

 

Poèmes traduits du roumain par Constantin FROSIN

 

 

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