POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRAINE
 

Ion POP

 

Pietà

 

J'entendrai un jour comme dans un rêve

les clous sortir, comme de grandes racines

délivrant la glaise, je descendrai lentement

entre brigands, vers tes genoux, Mère,

vers l'insomnie éternelle.

 

Ce n'est qu'alors, mon Dieu,

que la grande peine m'attendra

celle de me voir sans cesse

mourir et marcher au-dessus de la mort.

Pour des milliards de fois

mes bras fatigués s'affaibliront,

mon coeur fatigué s'arrêtera

dans des poitrines qui vont mourir.

–Ah,

toutes ces chutes, gémissements et hurlements,

frappant à chaque instant

mon tympan céleste, oh,

mes paumes de lumière qui ne seront jamais plus calleuses

à caresser sans cesse des visages en larmes, à laver

des pieds meurtris, à s'asseoir

pour des milliards de fois

sur les épaules voûtées!

 

Etre un cadre à tout jamais,

tandis que le paysage se fane,

tandis que le portrait pue,

tandis que le très mortes natures mortes

se meurent encore et encore.

 

Tempus

 

Le temps. Beau. Avec toutes ses Prophéties,

oh, accomplies.

Et, surtout, la Dernière.

Plus de trop grandes

surprises à venir.J'ai

presque tout

rapporté et rêvé.

Mouvements et mutations,

mutants et mutisme.

Pourtant les poètes trouvent toujours

quelque chose

à chanter.

Et, lorsqu'ils sont enroués, ils jouent au football,

comme Cioran, jadis,

avec les crînes de Yorrick.

Les poétesses, encore plus braves,

lîchent la bride

d'une façon de plus en plus troublante –

elles veulent à tout prix

nous montrer

la Véritable Emblème.

 

Et des paix assourdissantes

et de gaies Europes

qui se pincent, en pouffant de rire.

Et le sourire du Général,

au-delà des oreilles,

qui vous coupe les oreilles

de son arc tendre,

en acier inoxydable.

Au-dessous des arbres pleins

de corneilles peintes en perroquets.

Et ce sont toujours les égaux

qui

polissent les bottes des plus Egaux,

en louant et en rouspétant,

entre les anges et le bétail.

 

Oui, Bacovia. Exactement.

Et le ciel. Beau,

simplement,

le ciel, –

clair ou furieux.

Et toutes les Prophéties

accomplies.

 

Et le Temps.

 

Cactus

 

– Regarde bien cette fleur,

m'attire l'attention mon fils

collectionnaire passionné de cactus, –

elle ne vit qu'un jour.

 

Je la regarde, je lui dis, c'est comme une main

qu'un détenu sort de la géometrie

barbelée, de son camp

vert, de concentration. C'est un museau

fragile et velouté, d'un hérisson

végétal îpre. Elle ressemble à un professeur

qui, au milieu de la Grande Prélection,

jetterait, en souriant de façon complice,

sa cravate pédagogique,

C'est comme ça qu'aurait dû être, je pense,

la Vierge immaculée,

réveillée de son sommeil

par la voix de l'Archange. C'est une blessure,

qui s'ouvre très lentement, de l'intérieur. Une

pensée épuisante

se reposant, enfin, un instant,

dans sa fatigue lumineuse.

Un Juste, arrivant tardivement

à voir le visage de Dieu

tout de suite puni

pour avoir osé le voir. Un...

– Oui, oui... Mais regarde bien

cette fleur.

Elle ne vit qu'un jour.

version française: Letitia ILEA

 

 

 

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