Georges SIMON

 

JOURNAL D’UNE ASCÈSE

(Le liseur d’une trace)

 

Effrayé d’une puissance qui rumine ma conscience, j’ai peur de ma vie. Ma vie mise à oui. Un frémissement terrible menace le Verbe, la chute dans les abîmes du commencement innocent, les gouffres d’une intériorité fragile, inter-visionnaire. Une seule lettre est suffisante pour que tout change. Un seul geste et l’innocence est trahie de l’indécence.

 

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Le Verbe s’accomplit au zénith de la Vie, en toute sa splendeur, confirmant la Création, comme source de l’expression éphémère, sans intermittences, perpétuel commencement d’un instant imprudent, métamorphose et non pas changement, sur la voie d’une errance, pour arriver au pays de l’occurrence, pour éviter le mot corruptible, rester dans l’intervalle, comme interlude du Vide-médian (François Cheng), comme un trait d’union entre l’éphémère et l’éternité, comme instant incrusté ou sauvé, comme la lumière qui jaillit inoffensive d’une âme expressive, comme des signes disséminés sur la voie solitaire du Verbe, parsemée des traces qui nous conduisent vers l’Inconnu, le Tout Puissant.

 

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Seul, je provoque la solitude, de se montrer, de faire son apparition, comme un être fugace. Moi, je sais que je suis, mais, toujours c’est toi qui me suis : toi, l’audacieux, l’Innommable, aux Cieux, Être ineffable, Le Verbe , l’Adorable.

 

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Juste au moment où je lisais Sylvie Germain, tout de suite, j’ai oublié tout mon passé et j’ai eu l’impression que c’était elle qui lisait dans mon âme, que ce n’était pas moi qui lisais, mais le troisième qui nous éclairait, comme un instant qui, sous nos yeux, ressuscitait :Il n’y a que des traces impalpables disséminées de-ci de-là, et qui parfois affleurent, fugaces, à l’improviste au détour d’un instant.(Sylvie Germain, Immensités)

 

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La rime intérieure, au milieu de la phrase, confère un air musical (une suggestion aérienne) aussi légère (en tant) que l’éphémère se remplit d’un contenu irrepressible, une trace instantanée à l’aube de l’indicible, à midi de l’impalpable, de l’inaudible, de ce que les antiques exclamaient : Eheu ! fugaces…labuntur anni, ou le durable bâti dans l’éphémère : Exegi monumentum aere perrenius (J’ai achevé un monument plus durable que l’airain)

 

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Pour mieux se connaître, l’être humain doit : accueillir, accepter, consentir, écouter le silence et scruter l’invisible – tels sont les plus hauts actes de l’attention et de la conscience que doivent accomplir les vivants.(Sylvie Germain, Immensités)

 

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La trace c’est qu’il y a du passé dans le présent, de marquer l’inconsistance du temps, de remarquer la présence et d’attirer l’absence, c’est le signe d’orthographe doué d’une puissance inouïe : c’est de souder même quand il sépare, c’est le signe d’un pur pouvoir, bref, c’est d’abolir (éliminer) l’intervalle, c’est le Vide médian, conçu par François Cheng.

 

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La trace c’est aussi un trait d’ union inversé. On pourrait dire renversé, pour approuver la continuité, la réciprocité, la symétrie, la chaîne des instants et le manque des intermittences. Le renversement c’est la conversion du lecteur qui, lui aussi, devient l’alter-ego du créateur : comme fulgurance d’une présence.

 

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Comment pourrait-on discerner un sens là, où il n’y a pas d’alternance, où il n’y a pas de raccourci, où il n’y a pas un dérapage, enfin, là, où il n’y a que la lettre qui tue, s’il n y a pas un liseur, le co-auteur d’un texte qui se révèle comme hyper-texte, en dehors du temps, dans l’oubli, où il n’y a pas d’hiérarchie, ni de succession !

 

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Une trace c’est aussi la voie vers l’autre, par moi-même, lors d’une lecture assumée, acharnée, engageante, de tout ce qui n’a pas encore été exprimé : Je suis moi, quand je suis toi (Paul Celan)

 

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Dans une autre œuvre de Sylvie Germain, structurée en trois temps (Préface, Face-à-face, Volte-face), le personnage se retrouve et se reconnaît dans un contexte plus généreux, qui dépasse le temps, plus résonnant que la chaîne des événements, concernant la respiration, le souffle libéré de la tutelle du sans arrêt, c’est comme un tiret, comme une virgule, comme un instant de pause, une promesse de sens ou un point d’interrogation très aigu, enfin comme un signe de ponctuation essentiel (Sylvie Germain)

 

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Il s’agit d’un liseur complice, un promoteur du sens, un lecteur d’un palimpseste, c’est l’enjeu d’un texte laconique dont le sens se révèle par un souffle intérieur, un souffle agonique, et pas du tout tyranique.

 

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Arrivé à ce point, je suis en train de m’arrêter pour respirer l’air léger de l’intervalle où il n’y a plus de temps passé et l’instant prochain n’est pas encore tombé pour nous nous rappeler de François Cheng : Avoir tout dit et ne plus rien dire.

 

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Les quatre verbes de Sylvie Germain (accueillir, accepter, écouter, scruter) ont été résumés par Fernando Pessoa en une seule et unique voie de se retrouver : s’abandonner, comme la lumière ou comme un paysage préfigure une âme au seuil de la transfiguration où il n’y a pas de figures ressuscitées, mais seulement des présences illuminées.

 

 

 

AILLEURS, ENCORE AILLEURS

 

Sylvie Germain c’est le verbe au présent

Où Dieu fulgure les mots à l’instant

Sylvie Germain ou le nom de celui qui est absent

Par l’écriture, elle fait s’abîmer le néant.

 

Anonyme, s’anime toujours la vie

Par les Échos du silence

Aussi comme un texte s’éternise

Par l’Absolu de l’Épiphanie.

 

Sylvie Germain c’est l’art de l’impromptu

Où l’éternel éclate à l’imprévu ressuscité

Elle a le don de lire un palimpseste

D’où le Verbe vient de se retirer.

 

Et le vide qui nous menace prend visage

Quand on se regarde face-à-face

Sylvie Germain c’est le baptême de l’inconnu

Comme l’éternité a l’air de déjà-vu.

 

Heureux celui qui l’a lue

Sylvie Germain ou l’éclat de l’Absolu.

 

 

 

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