Dorin TUDORAN

Pauvre phénomène individuel !

Pauvre phénomène individuel !
toi, vie qui n’est qu’à moi seulement,
te voilà :
Passée par la loupe des âges,
étudiée, fendue, filtrée,
interprétée,
filée
comme une quinte royale – «Tztztztz !»
laminée, tréfilée,
allongée
jusqu’à la sveltesse de l’éther,
amincie
jusqu’à la découverte
des molécules filiformes !

Pauvre phénomène individuel !
toi, vie qui n’est qu’à moi seulement,
te voilà :
Deux oiseaux jumeaux
te portent dans le bec,
comme une ficelle pour sécher le linge,
comme une ver doré,
comme un nerf encore vivant :
c’est à dire s’agitant !

 

Le danger de l’instant

Mon ami
le poète
seulement en apparence hirsute
il a eu cette nuit-là
un affreux cochmar:
Se faisait
qu’il se rencontrait avec lui
et ce lui-même
était très vieux
d’une blancheur comme neige dans la tête
la voix étouffée
le regard plus qu’
hésitant
ils s’arrêtaient
l’un devant l’autre
se reconnaissaient
s’embrassaient
se seraient dans les bras
(“comme autrefois,
mon amour;
comme autrefois”)
et dans ce temps-là
le poète
mon ami hirsute en apparence seulement
a senti une terrible brûlure
entre les omoplates
Se réveillant
il a ri de tout cœur
il a ri bien heureux
que tout ça ne fût qu’
n cauchmar
il a ri aux éclats
mais tout ça n’a duré qu’
un instant
car la terrible brûlure
continuait à exister
et alors
mon ami
le poète
seulement en apparence hirsute
a allumé rapidement la lumière
s’est pressé vers le miroir :
sur le tard
il a été trouvé justement là
stupéfait d’admiration
en regardant
le couteau
vibrant dans ses omoplates.

 

Seul, l’instant

Il ne me faut
justement un siècle
de solitude ;
seul, l’instant
où je peux m’imaginer
l’arrivée
de l’Oiseau Emanuelle
c’est suffisamment.

Comme une lame de rasoir
se congelant dans les dents ;
comme une mer
se levant pendant la nuit
vers le ciel ;
comme tous les autres événements
de ce livre
plein de photos iréeles.

Seul, l’instant
où l’on comprend :
« Celui qui trouve de l’enchantement
dans la solitude
il n’est qu’une idole
ou un fauve ».

Elegie à l’oiseau Emanuelle

Personne ne te pressente, Votre Eminence,
c’est comme si vos ailes n’ont plus existé ;
personne ne t’attend plus, ne t’invoque plus,
c’est comme si vous n’avez jamais passé par ici.

Les enfants ont guéri : ils ne dressent plus des
                                arcs-en-ciel ;
le ciel a guéri : il ne reçoit plus de papiers colorés ;
le bois s’atrophie à vue d’oeil – même l’air
pende comme un rideau en lambeaux, Votre Eminence.

Les autres me demandent, comme ça, à tout hasard, que
                                       fais-je,
si je pars, si je veux quelque chose, si je reste ;
les autres n’hésitent pas, c’est à dire ils sont justement
                                    les autres –
Comment allez-vous, Votre Eminence ?
                 Qu’est-ce que vous attendez encore ?

Pendant une soirée, j’ai cru que je t’entends venir,
je suis sorti dans la cour, j’ai regardé tout autour :
on sait bien – ce n’était pas toi ; ni même de toi ne
                                   s’agissait pas.

Traduceri de Claudia PINTESCU



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