POEME ROMÂNESTI ÎN LIMBI STRĂINE 
 



George VULTURESCU    

    La lettre qui marche devant les lettres

Un jour tu apprends qu’un mot tourne
au-dessus des autres mots du poème
il danse comme les abeilles
au-dessus d’un champ de jonquilles

C’est une lettre qui jaillit devant
les mots: elle a des yeux de loup
les baves du froid jaillisent de sa bouche

ma main s’obscurcit sur la page:
il n’y a que celui qui écrit qui sait
que la main qui écrit est la main agrippée au couteau
elle peut distinguer entre la lettre aux yeux de loup
et la lettre en or qui marche devant les lettres
le couteau est aveuglant:
des langues de feu y dansent

Mon écriture est un couteau appuyé
à la gorge de la mort


    Ongles

Lorsque je n’écris plus la chair de la main
noircit

d’étranges insectes sortent du noir des lettres
et me lèchent les ongles
puis les ongles se détachent de la chair
des doigts et s’envolent au-dessus de la ville
s’ataquent aux oiseaux tardives, aux passants
solitaires, s’enfoncent dans leur chair,
se glissent dans les maisons et se nichent
dans les miroirs argentés
en attendant comme un virus craintif

c’est l’heure où
la main au couteau appuie la lame
à la gorge du brigand
la main qui écrit brise de la griffe
de la lettre l’abcès du cauchemar
    Jeu aux pièces de monnaie

Je le vois monter dans des sentiers vers
les forêts du Nord. Neige métallique,
la crinière de son cheval frappe les branches
de sapin. Je vois sa casque et
sa visière en or.

Je vois aussi l’aigle sur le rocher. Des os de
cheval et de cavalier sont éparpillés autour.

Je vois aussi le lion à côté de la pierre des ruines.
La cendre tombe des poutres du mur
sur le squelette d’un cheval et d’un
cavalier pourri.
î
Maintenant je vois aussi ma page blanche dans la nuit.
C’est comme ça, le jeu dans le monde: toi, ici,
l’autre – de l’autre côté.
Le cavalier me regarde. Je le regarde.
Nous traversons le Nord l’un abrité
par les yeux de l’autre.

Sur la page blanche quelqu’un regarde les lettres
du poème comme si l’on prenait dans la paume
les pièces de monnaie trouvées dans la besace d’un cavalier
affalé dans la poussière


    Le lecteur qui veut encore une miette

Qui donnerait sa vie pour
un poème unique
qui ait la durée d’un brin de poussière
dans le vent?

Un brin de poussière porté sur
les sandales de Jésus
jusqu’à ce que l’humble lui lave les pieds

Ce serait votre fin, poétereaux,
qui vous sortez les ténias des tripes
sous les yeux hypnotiques de vos amantes

Je hais le lecteur qui veut encore
une miette de mon foie
version française: Letitia ILEA
 

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